Le lapis-lazuli est une roche semi-précieuse du groupe des feldspaths[1]. Son utilisation, déjà attestée à l’âge du bronze connaît un développement particulier dans l’art égyptien. Dans l’Antiquité, le lapis-lazuli est extrait en Bactriane (région de l’Afghanistan actuel), dans une région qui passa sous le contrôle d’Alexandre le Grand, puis des rois gréco-bactriens qui lui succédèrent. L’utilisation de cette pierre est bien étudiée par les historiens et les archéologues tant pour les objets sculptés dans le lapis-lazuli que pour son utilisation comme pigment.
L’utilisation de ce minéral au Moyen Âge et à la Renaissance est nettement moins étudiée. Quelques publications, cependant, donnent cependant quelques informations précieuses qu’on peut ainsi résumer. Les objets étudiés par Léo Abgrall, dans une monographie disponible sur le serveur d’Academia, sont plutôt tardifs et proviennent d’édifices religieux[2]. En s’appuyant sur l’étude de Michel Pastoureau, l’auteur explique que le petit nombre d’objets fabriqués avec du lapis-lazuli avant le xiie siècle fait écho à la faiblesse des échanges avec l’Orient. A l’inverse, la reprise des contacts entre Orient et Occident au moment des croisades marque aussi l’arrivée de la pierre en Europe.
La proximité entre le travail des « faiseurs d’encre » et celui des pharmaciens à la Renaissance explique que l’on trouve de nombreuses attestations du point de vue des naturalistes sur le lapis lazuli. Le rapprochement est, bien entendu, facilité par le fait que Dioscoride d’un c ôté, Pline de l’autre, évoquent l’un et l’autre cette pierre dans des chapitres dont l’orientation est pourtant assez différente. Pour Dioscoride, qui évoque le lapis-lazuli sous le nom de pierre d’azur[3], il s’agit aussi de corriger le texte ancien et de démonter les interprétations fallacieuses auxquelles il a donné lieu, notamment en ce qui concerne les propriétés thérapeutiques de ce minéral.
Parmi les naturalistes de la Renaissance, Pietro Andrea Mattioli, naturaliste et médecin originaire de Sienne est l’un de ceux qui tentent le plus systématiquement d’opérer une synthèse entre le savoir hérité des anciens et l’expérience des modernes. Dans l’édition française de 1572, il ne manque pas d’établir pour le lapis-lazuli les correspondances entre ls textes en démêlant à chaque fois les observations justes et les erreurs : voici l’essentiel de son raisonnement.
- Où trouver du lapis-lazuli ?
- Les remarques de Mattioli sur ce point sont de deux ordres, l’un géographique, l’autre géologique. Sur le plan géologique, il observe que le lapis-lazuli est toujours associé, dans les mines, à la pierre d’Arménie. Bernard Guineau précise qu’il s’agit d’une azurite bleue, composée de carbonate basique de cuivre et ajoute qu’il y a un risque de confusion avec le lapis-lazuli[4]. Cette azurite est également employée pour la fabrication de peintures. Elle est connue sous de nombreux noms à l’époque de la Renaissance et avant : certains renvoient à une origine géographique (bleu de Hongrie, bleu de Raguse, azur d’Allemagne), d’autres à l’idée que les mines où l’on peut extraire la pierre d’Arménie sont en zone de montagne.
La parenté entre les deux minéraux explique qu’on ait pu confondre les deux, ce qui est dommageable, notamment lorsqu’on examine les propriétés médicinales des pierres. Toutefois, entre les vertus laxatives de l’une et l’utilité de l’autre pour combattre la mélancolie, il importe d’avoir les idées claires. Mattioli explique qu’il a vu des mines où l’on trouve du lapis-lazuli et de l’azurite en Allemagne. Dans un souci de comprendre la cohérence nécessaire du monde naturel, Il commence par souligner la proximité entre le lapis-lazuli et la pierre d’Arménie[5] :
Davantage, veu que la pierre d’Armenie et d’azur croissent en mesmes mines, comme j’ai veu en plusieurs lieus d’Alemagne, voire ensemble, et l’une avec l’autre, tellement qu’ue piece de pierre d’azur tiendra beaucoup de la pierre d’Arménie, et au contraire, on peut bien dire ces deux pierres, estre de mesme vertuk ou non pas grandement dissemblable .
Il arrive alors à la conclusion que si ces deux pierres se ressemblent à ce point, c’est sans doute parce qu’elles constituent deux états d’un même objet naturel :
Veu aussi que la pierre Armenienne n’est que la matiere de la pierre d’azur non encore cuitte en perfection es mines de la terre, comme chalcitis, misyn siry ne sont que la matiere dont se fait le vitriol.
- La confusion entre les deux minéraux a des conséquences éventuellement fâcheuses lorsqu’il s’agit d’utiliser l’un ou l’autre comme médicament. L’un a des propriétés sévèrement laxatives, l’autre combat la mélancolie. Selon Mattioli, les Grecs ont ignoré les propriétés du lapis-lazuli pour soigner la mélancolie ; ils mentionnent en revanche l’usage laxatif. La difficulté vient de ce que les médecins Arabes ont fréquemment confondu l’azurite (pierre d’Arménie) et le lapis-lazuli. Il cite alors deux autres médecins de la Renaissance : Fuchs qui suit les indications des médecins arabes, à tort selon Mattioli et Giovanni Manardo qui examine la question de la confusion entre les deux pierres dans ses commentaires sur Mesué.
- Le commentaire de Mattioli, on le voit, examine prioritairement des problèmes qui concernent la détermination des objets naturels et ceux qui intéressent la médecine et la pharmacie. L’usage du lapis-lazuli comme élément de fabrication de pigment est à peine évoqué : Mattioli distingue deux pierres d’azur. La meilleure, qui présente des taches d’or, est utilisée en médecine. L’autre est celle « de laquelle en Alemagne on fait couleur d’azur pour les peintres ».
Fabrication du pigment selon les sources.
En s’appuyant sur le Libro dell’arte de Cennino Cennini et sur plusieurs recettes publiées par Mary Merrifield, Marc Niederhauser résume ainsi la recette de préparation du lapis-lazuli[6] :
Bien laver le bloc de lapis-lazuli à l’eau ou à la lessive de cendre de bois. Tenir le bloc avec une pince et le chauffer avec une lampe à souder avant de le faire éclater en le jetant dans de l’eau. Le piler dans un mortier pour le réduire en poudre fine. Mélanger dans une casserole la poix, la cire d’abeille et l’huile de lin, en faisant chauffer légèrement. Incorporer la poudre de lapis-lazuli à cette pâte placée dans un linge puis malaxer dans de leau chaude qui se colore en bleu. Les parties blanches sont retenues par les matières grasses de la pastille. Malaxer plusieurs fois dans divers récipients pour obtenir un bleu progressivement mois vif. Mettre ensuite à sécher pour récupérer la lazurite.
Analyses
De nombreux travaux ont été menés pour étudier en laboratoire le lapis-lazuli utilisé comme pigment dans les encres ou les peintures. Ainsi, une expérience menée par l’équipe de Richard Mulholland sur les illustrations de la Flora graeca de Ferdinand Bauer. Ces analyses font appel à la spectroscopie Raman, la spectroscopie FORS, la fluorescence X et l’imagerie multispectrale. L’application de ces techniques à l’analyse des bleus met en évidence l’utilisation D’autres programmes, pour lesquels on trouvera une bibliographie infra, appliquent des méthodes analogues aux enluminures médiévales ou à des œuvres peintes.
Orientation bibliographique
Sarah Searight, Lapis lazuli : In pursuit of a celestial stone, London : East & West Pub., 2010, 278 p..
Philippe Quenet, « (99+) De l’Afghanistan à l’Égypte : sur les traces du lapis-lazuli du Trésor égyptien de Tôd (Moyen Empire) | QUENET PHILIPPE – Academia.edu ».
Michel Pastoureau, Michel Pastoureau – Bleu : histoire d’une couleur, Seul, Paris, 2016, (« Points »).
Monique L. Cardell Borg, « Lapis-lazuli, Alexandre le Grand et les rois gréco-bactriens ».
Léo Abgrall, Le lapis-lazuli, commerce, symbolique et utilisation du deuxième millénaire avant J.-C au début du XVI e siècle, Mémoire de master 2, Université de La Réunion, 2020.
M., Douma curator. (2008). Ultramrine In Pigments through the Ages. Consulté enoctobre 2018, http://www.webexhibits.org/pigments/indiv/history/ultramarine.html
Duffin, Christopher, The pharmaceutical use of Lapis Lazuli in the Ancient East,Pharmaceutical historian [en ligne], 2014, vol 44, consulté en decembre 2018,
Conway Morris, Roderick, Exhibition Review : Lapis Lazuli and the History of ‘theMost Perfect’ Color, the New York times [en ligne], 18/08/15, consulté en janvier novembre2018,
Fardoise, Pigments et colorants au Moyen-Âge, Activités humaines à travers le temps [enligne], le 10/04/2015, consulté en janvier 2019,
http://fardoise.eklablog.com/pigments-et-colorants-au-moyen-age-a116885600
Frison, Guido, Brun, Giulia, «Lapis-lazuli, lazurite, ultramarine ‘blue’, and the colourterm ‘azure’up to the 13th century», Journal of the International Colour Association 16, 41-55, 2016,
Herrmann, Georgina, Lapis Lazuli: The Early Phases of its Trade, Cambridge core [enligne], publié 1968, Volume 30, Issue 1, consulté en mars 2019,
Marc Niederhauser, Alchimie de l’enluminure: 80 recettes éprouvées, Editions Eyrolles, 2011, 130 p..
R. Mulholland, D. Howell, A. Beeby, [et al.], « Identifying eighteenth century pigments at the Bodleian library using in situ Raman spectroscopy, XRF and hyperspectral imaging », Heritage Science, vol. 5 / 1, 2017.
Aurélie Mounier, Gwénaëlle Le Bourdon, Christian Aupetit, [et al.], « Hyperspectral imaging, spectrofluorimetry, FORS and XRF for the non-invasive study of medieval miniatures materials », Heritage Science, vol. 2 / 1, 2014.
Maria João Melo, Vanessa Otero, Tatiana Vitorino, [et al.], « A Spectroscopic Study of Brazilwood Paints in Medieval Books of Hours », Applied Spectroscopy, vol. 68 / 4, 2014, p. 434‑443.
Monica Ganio, Emeline S. Pouyet, Samuel M. Webb, [et al.], « From lapis lazuli to ultramarine blue: investigating Cennino Cennini’s recipe using sulfur K-edge XANES », Pure and Applied Chemistry, vol. 90 / 3, 2017, p. 463.
Giovanni Bartolozzi, « International Journal of Conservation Science the San Pietro Martire Triptych by Beato Angelico: Materials Characterization by Means of Integrated Non-Invasive Spectroscopic Measurements ».
[1] Bernard Guineau, Glossaire des matériaux de la couleur, Turnhout, Brepols, 2005, p. 424.
[2] Léo Abgrall, p. 145-146.
[3] Pietro Andrea Mattioli, Les commentaires de M. Pierre André Matthiole sur les six livres de Dioscoride, Lyon, Guillaume Rouille, 1572, p. 719 sq.
[4] Bernard Guineau, op. cit., p. 423.
[5] Pietro Andrea Mattioli, ibidem.
[6] Marc Niederhauser, Alchinie de de l’enluminure : 80 recettes éprouvées, Paris, Eyrolles, 2011, p. 98.