Test d’une méthode d’analyse : FTIR

Rapport établi par Benoit Prochet.

Objectifs

Le projet CodikHum vise la mise au point de nouveaux instruments pour étudier les encres anciennes utilisées sur des documents de la Renaissance, manuscrits ou imprimés. Les méthodes utilisées dans le cadre du programme CodikHum reposent sur la spectrométrie, la colorimétrie mais aussi l’analyse des surfaces d’encres et la microscopie. Les méthodes proposées sont testées, soit dans un corpus de pigments ou d’encres, soit sur d’autres matériaux. Un rapport par méthode est rédigé afin de présenter les résultats. Ces analyses permettent de dessiner un panorama des techniques utilisées à la Renaissance pour écrire et imprimer des livres. Elles posent aussi les bases d’une future banque de données qui est encore à constituer aujourd’hui.

Manipulation

Matériel

Palette de référence 1

            Pour l’étude exploratoire du projet CodikHum, une palette d’encres métallogalliques est utilisé (mg) référencée par l’IRAMAT. Les 19 encres ont été fabriquées à partir du mélange de 20 mg de minerai de sulfate métallique broyé avec 100 µl de noix de galle pour l’apport en tannin avec 17 mg de gomme arabique broyée servant de liant. Le sulfate métallique (majoritairement ferreux et/ou ferrique) représente dans les encres fabriquées 14.5 % de matière solide. Les encres ont ensuite été étalées au pinceau en couches sur du parchemin.

Matières premières

            Environ 1g de matières premières, utilisées pour la fabrication de la palette de référence 2, sont conservés pour des analyses.

  • Noix de galle
  • Sulfate de fer
  • Alun
  • Gomme arabique
  • Acide gallique
  • Noir de fumée

Palette de référence 2

            Une deuxième palette de référence est réalisée afin de mettre en évidence l’influence de la quantité de chaque ingrédient. Pour cela, de la noix de galle en poudre est ajoutée dans de l’eau distillée pendant une semaine. Puis ce mélange est réduit de moitié par chauffage et filtré. Ce filtrat est utilisé pour réaliser les encres suivantes :

  • Série Fer : Filtrat + gomme arabique + différentes quantités de sulfate de Fer
  • Série Alun : Filtrat + gomme arabique + sulfate de fer + différentes quantités d’Alun
  • Série Mixte : Filtrat + gomme arabique + sulfate de Fer + différentes quantités de Noir de Fumée
  • Série Fe/AG : le rapport entre le sulfate de fer et l’acide gallique varie dans cette série

            Chaque encre est appliquée sur un morceau de parchemin du côté chair. La série Fer est aussi appliquée sur le côté poil pour éventuellement observer des différences entre le recto et le verso.

Corpus

            Dans le cadre du projet CodikHum, l’acquisition de 8 documents va définir le corpus d’étude dans le cadre des expériences exploratoires. En effet, malgré les précautions qui sont prises, il n’était pas envisageable de mener cette étude exploratoire sur des documents historiques appartenant à des tiers sur lesquels il existait une probabilité non négligeable de dégradation au cours de l’expérimentation.

            Le corpus d’étude est composé de 8 documents sur papier et parchemin datant de 1521 à 1640 et provenant des archives de famille noble de Guériboult, probablement de la région de Mons. Un descriptif complet des 8 documents du corpus d’étude se trouve en annexe 1 de ce document. En plus du descriptif succinct avec photographies des documents, il y a le positionnement des points de mesures déterminés

Protocole

Dans le cadre des mesures de spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (FTIR), il existe plusieurs solutions pour faire des acquisitions. Toutefois, la mesure en mode ATR (Attenuated Total Reflectance) peut convenir. Le Laplace dispose d’un spectromètre FTIR (vertex 70) avec un module ATR comme on peut le voir à gauche sur la Figure 1. Le mode ATR est une technique permettant de faire une mesure FTIR à la surface d’un échantillon sans l’endommager. Pour cela, il faut venir bloquer l’échantillon contre un cristal d’analyse (cristal en germanium cercle bleu sur la Figure 1) à l’aide d’une « presse ».

En effet, comme on peut le voir sur la Figure 1, dans la configuration ATR, il est nécessaire de mettre la zone à analyser contre le cristal, en conséquence de quoi la mesure se fait sur une partie non visible pour l’expérimentateur.  Dans le cas où l’analyse doit se faire sur une zone localisée dans le plan X,Y comme c’est le cas pour des signes manuscrits, la mesure devient très compliquée à réaliser. Afin de bien viser la zone à analyser, un point au crayon de papier sur le verso de la feuille de parchemin est inscrit. Cette technique ne pourra pas être utilisée dans le cadre d’étude où l’on ne peut pas du tout toucher au document. De plus, comme le cristal d’analyse est relativement grand (1X3mm), il faut une zone encrée suffisamment importante. Cependant, le micro-FTIR est une technique permettant d’avoir la même réponse spectrale mais avec l’avantage de cibler plus précisément la zone à analyser grâce à un microscope. Le laboratoire ne possède pas ce type de matériel, c’est pour cela que les résultats présentés seront ceux du mode ATR.

Dans le cadre d’une mesure FTIR, il faut faire 2 acquisitions : la référence et la mesure qui seront soustraites pour avoir le spectre final. Deux méthodes dont testées : la première consiste à prendre la référence sur une zone non encrée du support et la seconde avec une référence dans l’air. Avec la première méthode, des bandes « négatives » apparaissent. L’explication vient du fait que si l’allure d’un spectre est identique pour une zone homogène, ce n’est pas le cas au niveau de l’intensité qui peut varier de façon importante d’un spectre à l’autre ce qui lors de la soustraction pour le spectre final pouvait engendrer des déformations de pic/bandes infrarouges et ceci de façon importante. La seconde méthode donne donc des spectres plus complexes à analyser car on a le signal de l’encre plus celui du support dont les signatures FTIR sont souvent sur les mêmes zones mais la mesure reste reproductible ce qui n’est pas le cas avec la première méthode.   

Résultats

Matières Première

            Des analyses FTIR sont réalisées sur les matière premières afin d’avoir des informations sur les bandes caractéristiques de chaque ingrédient et éventuellement les comparer avent les bandes des analyses sur les encres. Cependant, ces matières premières réagissent ensemble pour former de nouveaux produits, et par conséquent des bandes vibrationnelles peuvent se décaler.

Palette 1

Etude du support

Dans le cas du papier, la cellulose est représentée par les liaisons C-O à 1160 cm-1 et C-C à 1103 cm-1. De même, l’interprétation est difficile lorsque l’encre est sur du papier. (Figure 2)

Dans le cas du parchemin de la palette 1, il existe des bandes caractéristiques à 1630 cm-1 et à 1540 cm-1 représentant respectivement l’amide I et l’amide II. (Figure 3)

Les bandes spectrales sont identiques sur différents points des parchemins que ce soit au recto ou verso. Seules les intensités de ces bandes sont modifiées, ce qui est surement dû à l’inhomogénéité du support. Ces résultats sont confirmés avec la série fer de la palette 2 car les spectres de l’encre sur le parchemin coté chair et coté poil sont identiques à part les intensités

Sur les parchemins du corpus, la bande de l’amide I est observée. Cependant, une bande large et intense aux alentours de 1400-1430 cm-1 est observée (figure 4). Le traitement des parchemins avec des carbonates est très fréquent, ce qui peut expliquer la présence de cette bande. Malheureusement, cette bande intense masque le signal de l’encre qui possède la majorité de ces bandes dans cette zone rendant l’interprétation difficile.

Figure 4 FTIR parchemin avec carbonate

De plus, le signal IR est totalement absorbé en présence de carbone, ce qui rend l’interprétation impossible. Par conséquent la série Mixte de la palette 2 n’est pas observable à cause du noir de fumée présent dans sa composition.

Palette 2

Serie fer

               Les modes d’étirement C-C et C-O carboxyliques sont représentés sur la figure 5 par la bande de 1030 cm-1 qui confirme la présence de tanins et d’acide gallique. Un épaulement à 1715 cm-1 confirme également la présence de tanins hydrolysables. Une bande d’environ 1070 cm-1 représente le mode d’étirement C-C des esters. Le mode d’étirement C-OH observé à 1331 cm-1 est moins intensif avec une faible concentration en sulfate de fer (inférieure à 0,5 g). La figure 5 montre des bandes de 1540 cm-1 et 1650 cm-1, cela est probablement dû à la présence d’Amide I et d’Amide II à l’intérieur du parchemin. Ceci est compatible avec le fait que le FTIR-ATR a sondé plusieurs microns de profondeur.

Figure 5 FTIR d’une encre ferrogallique avec 0,15 g (a) et 0,05 g (b) de sulfate de fer

Série Alun

               Les analyses FTIR des encres ferrogallique avec de l’alun ont des bandes similaires que sans (Fig. 6). Cependant, le pic à 1202 cm-1 pourrait correspondre à l’étirement antisymétrique du sulfate d’alun. Et une bande de 984 cm-1 pourrait également représenter un étirement symétrique dans les sulfates lorsque le sulfate de fer et l’alun sont tous deux présents dans la composition.

               De plus, l’intensité du mode d’étirage C-C des esters, représentée par un pic à 1070 cm-1, augmente avec la concentration en alun. Celui-ci a une influence sur la concentration en tanins gallo.

Zone de Texte: Figure 6 FTIR d'une encre ferrogallique avec 0,05 g (a) et 0,3 g (b) d'alun

Corpus

               Avec les spectres du document historique, il est difficile d’analyser les composés phénoliques et de confirmer ou non la présence d’Alun car une bande large et intense masque les pics vus auparavant. Cette bande d’environ 1400 cm-1 représente les carbonates contenus sur parchemin. Le carbonate de plomb était fréquemment utilisé sur le parchemin après l’application de l’encre pour polir et donner un aspect blanc.

            Cependant des bandes caractéristiques restent visibles quelque soit le support ou la présence ou non de carbonate. Elles sont situées à 1620 et à 1320 cm-1 et corresppondent aux oxalates. De plus une bande à 780 cm-1 est aussi observée et pourrait être assimilée à une bande caractéristique de l’encre.

Perspectives

Le FTIR peut permettre d’identifier certains composant de l’encre malgré la présence du signal du support. Cependant, le traitement aux carbonates des documents empêche l’analyse plus précise de la composition des encres